Source:
Lettres de Mademoiselle de Montpensier, de Mesdames de Motteville et de Montmorenci, de Mademoiselle du Pré, et de Madame la Marquise de Lambert, page 3, published by Léopold Collin, 1806
Above: Anne Marie Louise d'Orléans, Mademoiselle de Montpensier, painted by Gilbert de Sève.
Above: François Berteau de Motteville, Madame de Motteville, artist unknown.
Anne Marie Louise d'Orléans, Duchess of Montpensier (born May 29, 1627, died April 5, 1693), also known as La Grande Mademoiselle, was the only daughter of Gaston d'Orléans and his first wife, Marie de Bourbon, Duchess of Montpensier. One of the greatest heiresses in history, Anne died unmarried and childless, leaving her vast fortune to her cousin, Philippe of France. After a string of proposals from various members of European ruling families, including King Charles II of England, King Alfonso VI of Portugal, and Charles Emmanuel II of Savoy, she eventually fell in love with the courtier Antoine Nompar de Caumont and scandalised the court of France when she asked King Louis XIV for permission to marry him, as such a union was viewed as a mésalliance. Anne is best remembered for her role in the Fronde and her role in bringing the famous composer Jean-Baptiste Lully to the King's court, and her memoirs.
The letter:
St. Jean-de-Luz, le 14 mai 1660.
M'étant trouvée auprès de vous l'autre jour, lorsque vous causiez chez la reine, avec de vos amies, du bonheur de la vie retirée, il me semble que votre conversation n'avoit jamais été plus charmante et plus agréable: je l'écoutai avec plaisir, et depuis j'ai passé de bonnes heures à y penser. Le lieu où nous sommes est le plus propre du monde à entretenir de semblables pensées; car l'on rêve bien doucement lorsqu'on se promène sur le bord de la mer. Ainsi, Madame, je me suis imaginé que vous ne trouveriez pas mauvais que je vous fisse part des sentimens que vous m'avez donnés, et de l'opinion que j'estime qu'il faut avoir pour rendre cette retraite dont vous parliez, divertissante. Premièrement, Madame, il faudroit, à mon avis, que les personnes qui voudroient se retirer de la cour ou du monde, s'éloignassent de l'un et de l'autre sans être rebutées; mais qu'elle le fissent par la connoissance du peu de solidité qu'on trouve dans ce commerce, et même parmi ses amis. Il y a eu de fort honnêtes gens de tout sexe qui, n'ayant pas eu autant d'habilité que vous et moi à la cour, ont pu néanmoins s'en éloigner par le mépris de la fortune, et il est aisé de ne pas s'en soucier quand on est parvenu, par ses soins ou sa naissance, à en avoir une honnête et selon sa condition. On peut aussi se trouver en âge où l'ambition est moins vive, et où les personnes fort raisonnables peuvent s'en guérir facilement. Car je tiens qu'il y a des temps qu'il seroit aussi heureux d'en être tourmenté, qu'il l'avoit été de s'y être montré toujours insensible. Comme on doit faire ce raisonnement en toutes sortes de conditions, et qu'il est, comme vous savez, des héros et des héroïnes de toutes manières, aussi nous faut-il de toutes sortes de personnes pour pouvoir parler de toutes sortes de choses dans la conversation, qui, à votre goût et au mien, est le plus grand plaisir de la vie, et presque le seul à mon gré. Néanmoins j'opinerois assez qu'il n'y eût pas de gens mariés, et que ce fût toutes personnes veuves, ou qui eussent renoncé à ce sacrement; car on dit que c'est un embarquement fâcheux: vous savez si l'on dit vrai, et si l'on est heureux d'en être dehors. Pour moi je décide là-dessus d'une manière que ceux qui ne me connoîtront pas ne devineront pas qui je suis par ce que j'en dis. Il seroit bon de concerter tous ensemble du lieu, de l'habitation, et délibérer si l'on choisiroit les bords de la Loire ou ceux de la Seine. Quelques-uns auroient mieux aimé les bords de la mer. Pour moi, qui n'aime pas naturellement l'eau, j'aimerois mieux la vue de la mer et des rivières un peu en éloignement, et que ma maison fût située dans le voisinage d'un grand bois, et que l'on y arrivât par de grandes routes où le soleil y feroit voir à peine en plein midi. Je la bâtirois de la plus agréable manière que je pourrois l'imaginer. Les dedans seroient de même fort propres et point magnifiques, non plus que les meubles; car il ne convient pas, quand on méprise tout, et que l'on veut paroître au-dessus de toutes choses, d'avoir la foiblesse de s'attacher à la superfluité. Je voudrois que cette maison fût environnée de jardins, et que le territoire en fût propre à produire les plus excellens fruits. Je prendrois un grand plaisir à faire planter, et voir croître tous ces arbres différens. S'il y avoit de quoi faire des fontaines, je n'en serois pas fâchée; mais j'aimerois mieux la vue que l'eau. Pour mieux dire, chacun feroit bâtir sa maison à sa fantaisie, les uns dans le fond d'un bois, les autres au bord de la rivière. La situation que je choisis pour moi laisse de quoi choisir aux autres, parce qu'au bas de la côté où je m'imagine cette belle forêt, et d'où l'on pourroit se faire une si belle vue, je prétends qu'il y auroit de grandes prairies, et qu'elles seroient coupées de ruisseaux d'une eau claire et vive, qui, en serpentant sur l'herbe, iroient gagner la rivière. On se visiteroit à cheval, en calèche ou avec des chaises roulantes; quelquefois à pied, quelquefois en carrosse, si ce n'est que je pense que peu en auroit. Le soin d'ajuster sa maison occuperoit beaucoup; ceux qui aiment la vie active travailleroient à toutes sortes d'ouvrages, comme à peindre ou à desseiner, et les paresseux entretiendroient ceux qui s'occuperoient de la sorte. Je pense qu'on liroit beaucoup, et qu'il n'y auroit personne qui n'eût sa bibliothèque. On ne romproit point le commerce qu'on auroit avec ses amis de la cour et du monde; mais je pense que nous deviendrions tels, qu'il leur seroit plus glorieux de nous écrire, qu'à nous de leur faire réponse. Je me persuade que dans ce bois que je me figure, ou dans quelque belle allée, il y auroit un jeu de mail: c'est un jeu honnête et un exercice convenable au corps, et qu'il est bon de ne pas négliger, en songeant à celui de l'esprit. On nous enverroit tous les livres nouveaux et tous les vers, et ceux qui les auroient lus les premiers auroient une grande joie d'en aller faire part aux autres. Je ne doute point que nous n'eussions quelques personnes qui mettroient aussi quelques ouvrages en lumière, chacun selon son talent, puisqu'il n'y a personne qui n'en ait tout-à-fait de dissemblables quand on veut suivre son naturel. Ceux qui aiment la musique la pourroient entendre, puisque nous aurions parmi nous des personnes qui auroient la voix belle, et qui chanteroient bien, et d'autres qui joueroient du luth, du clavecin, et des autres plus agréables instrumens. Les violons se sont rendus si communs, que, sans avoir beaucoup de domestiques, chacun en ayant quelques-uns auxquels il auroit fait apprendre, il y auroit moyen de faire une forte bande quand ils seroient tous ensemble. Je ne trouverois pas à redire que, lorsqu'on seroit obligé d'aller à la cour ou aux grandes villes, soit pour affaires, ou pour rendre quelques devoirs de parenté, on ne s'en dispensât point. Je ne voudrois pas que l'on fît les farouches en disant: je ne veux assister à nulle fête, et je ne ferois pas une visite pour mourir: et quand j'y serois, je voudrois m'accommoder aux autres et me rendre commode. Néanmoins je crois que je m'ennuierois fort, et que j'aurois grande joie de retourner; mais je ne le témoignerois pas, de crainte que cette affection ne me fît haïr, et ne m'exposât à la grande raillerie, d'autant plus dangereuse qu'elle seroit bien fondée, et qu'on se l'attire par des façons ridicules. Comme les personnes du monde se déguisent à présent, et que cette façon de faire, qui n'étoit pas bienséante aux gens de condition autrefois, s'est maintenant mise en usage, je ne désapprouverois pas que parmi nous on prît aussi quelquefois ce divertissement, mais d'une manière moins folle. Je voudrois qu'on allât garder les troupeaux de moutons dans nos belles prairies, qu'on eût des houlettes et des capelines, qu'on dinât sur l'herbe verte de mets rustiques et convenables aux bergers, et qu'on imitât quelquefois ce qu'on a lu dans l'Astrée, sans toutefois faire l'amour, car cela ne me plaît point en quelque habit que ce soit. Lorsqu'on seroit revêtu de celui de berger, je ne désapprouverois pas qu'on tirât les vaches, ni que l'on fît des fromages et des gâteaux, puisqu'il faut manger, et que je ne prétends pas que le plan de notre vie soit fabuleux, comme il est en ces romans où l'on observe un jeûne perpétuel et une si sévère abstinence. Je voudrois, au contraire, qu'on pût n'avoir rien de mortel que le manger. Mais il faut finir par ce qui doit être la fin de toutes choses.
Après avoir beaucoup rêvé sur le bonheur de la vie, après avoir exactement lu les histoires de tous les temps, examiné les mœurs et la différence de tous les pays, la vie des plus grands héros, des plus parfaites héroïnes et des plus sages philosophes de tous les siècles passés, je ne trouve personne qui, en tout cela, ait été parfaitement heureux, et j'ai remarqué que ceux qui n'ont point connu le christianisme le cherchoient sans y penser, s'ils ont été fort raisonnables, et sans savoir ce qui leur manquoit, s'apercevoient bien qu'il leur manquoit quelque chose. J'ai remarqué aussi que ceux qui, l'ayant connu, l'ont méprisé et n'ont pas suivi ses préceptes, ont été malheureux, ou en leurs personnes ou en leurs états; qu'il est difficile enfin de faire rien de bon sans songer à la fin. La nôtre doit être notre salut: ainsi toutes personnes y doivent penser. Je voudrois que dans notre désert il y eût un couvent de Carmelites, et qu'elles n'excédassent point le nombre que sainte Thérèse marque dans sa règle. Son intention étoit qu'elles fussent hermites, et le séjour des hermites est dans les bois. Leur bâtiment seroit fait sur celui d'Avila, qui fut le premier. La vie d'hermite nous empêcheroit d'avoir un commerce trop fréquent avec elles. Mais plus elles seroient retirées du commerce du monde, plus nous aurions de vénération pour elles. Ce seroit dans leur église qu'on iroit prier Dieu. Comme il y auroit d'habiles docteurs retirés dans notre désert, on ne manqueroit pas d'excellens sermons: ceux qui les aimeroient iroient plus souvent, les autres moins, sans être contraints dans leur dévotion. J'approuverois aussi qu'il y eût une belle église servie par des prêtres séculiers, habiles et zélés, et qui iroient instruire les villages voisins: je ne voudrois cependant point qu'ils prêchassent sans mission, car j'aime l'ordre en toutes choses. Je voudrois que nous eussions un hôpital où l'on nourriroit de pauvres enfans, où l'on feroit apprendre des métiers, et où l'on recevroit des malades. L'on se divertiroit à voir travailler les uns, et l'on s'occuperoit à servir les autres. Enfin je voudrois que rien ne nous manquât pour mener une vie parfaitement morale et chrétienne, de laquelle les plaisirs innocens ne sont pas bannis. Au contraire, on peut dire que c'est là qu'on les goûte véritablement.
Devine si tu peux, et réponds si tu l'oses.
English translation (my own):
St. Jean-de-Luz, May 14, 1660.
Having found myself with you the other day, when you were chatting with the Queen and with your friends, about the happiness of a retired life, it seems to me that your conversation had never been more charming and more pleasant. I listened with pleasure, and since then I have spent good hours thinking about it. The place where we are is the cleanest place in the world to entertain such thoughts; for one dreams very gently when one walks on the seashore. So, Madame, I imagined that you would not find it bad that I share with you the feelings that you have given me, and of the opinion I think you have to have to make this retreat you were talking about fun. First of all, Madame, in my opinion, people who would like to withdraw from the court or from the world should move away from both without being put off; but let one do it by knowing the little solidity one finds in this business, and even among one's friends. There have been very honest people of all sexes who, not having had as much skill as you and I at court, have nevertheless been able to distance themselves from it by contempt of fortune, and it is easy not to not to worry about it when one has managed, by his care or his birth, to have an honest one and according to his condition. We can also find ourselves in an age where ambition is less lively, and where very reasonable people can be cured easily. For I hold that there are times that he would be as happy to be tormented by it, as he had been to have always shown himself insensitive to it. Since we must do this reasoning in all kinds of conditions, and there are, as you know, heroes and heroines in all ways, so we need all kinds of people to be able to talk about all kinds of things in conversation, which, to your liking and mine, is the greatest pleasure in life, and almost the only one I want. Nevertheless I would opine sufficiently that there were no married people, and that they were all widows, or who had renounced this sacrament; because they say that it is an unfortunate embarkation: you know if one is telling the truth, and if one is happy to be outside of it. For me I decide on this in a way that those who do not know me will not guess who I am from what I say. It would be good to consult all together of the place, of the dwelling, and to deliberate whether one would choose the edges of the Loire or those of the Seine. Some would have liked better the seashore. For me, who does not naturally like water, I would prefer the sight of the sea and the rivers a little far away, and that my house was located in the the vicinity of a large wood, and that one reached it by highways where the sun would barely show at noon. I would build it in the nicest way I could imagine. The interiors would also be very clean and not magnificent, any more than the furniture; for it is not appropriate when we despise everything, and want to appear above all things, to have the weakness to cling to superfluity. I would like this house to be surrounded by gardens, and for the land to be suitable for producing the most excellent fruits. I would take great pleasure in planting and seeing all these different trees grow. If there were enough to make fountains, I would not be sorry; but I would like the view better than the water. To put it better, everyone would have their house built as they liked, some in the back of a wood, others on the banks of the river. The situation that I choose for myself leaves something to choose for others, because at the bottom of the side where I imagine this beautiful forest, and from where one could have such a beautiful view, I claim that there would be great meadows, and they would be cut by streams of clear, living water, which, meandering over the grass, would reach the river. We would visit each other on horseback, in a horse-drawn carriage or with wheelchairs; sometimes on foot, sometimes in a coach, except that I think few would have it. The care of adjusting one's house would occupy a great deal; those who enjoy the active life would work at all kinds of work, such as painting or drawing, and the lazy would support those who did so. I think that we would read a lot, and that there would be no one who did not have his library. One never broke the trade which one would have with one's friends at court and in the world; but I think that we would become such, that it would be more glorious to write to us, than to us to answer them. I am convinced that in this wood that I imagine to myself, or in some beautiful alley, there would be a mail game: it is an honest game and a suitable exercise for the body, and which it is good not to neglect, thinking of that of the mind. All the new books and all the verses would be sent to us, and those who read them first would have great joy in going and sharing them with others. I have no doubt that we had a few people who also brought to light a few works, each according to his talent, since there is no one who has quite different ones when we want to follow nature. Those who love music could hear it, since we would have among us people who would have beautiful voices, and who would sing well, and others who would play the lute, the harpsichord, and other more agreeable instruments. The violins have become so common that, without having many servants, each one having a few to whom he would have taught, there would be a way of forming a strong band when they were all together. I would not find fault with saying that, when one was obliged to go to court or to large towns, either on business, or to perform some duties of kinship, they were not dispensed with. I wouldn't want people to play wildly saying: "I don't want to attend any party, and I won't pay a visit to die; and when I get there, I would like to accommodate myself to others and make myself comfortable." Nevertheless I believe that I would be very bored, and that I would have great joy in returning; but I would not testify, for fear that this affection would make me hate, and expose me to the great mockery, all the more dangerous that it would be well founded, and that one attracts it by manners. ridiculous. As the people of the world are now disguising themselves, and this way of doing things, which was not decorous to people of condition in the past, has now been put into use, I would not disapprove of our sometimes taking this entertainment, but in a less foolish way. I would like us to go and keep the flocks of sheep in our beautiful meadows, that we have haulettes and capelines, that we dine on the green grass of rustic dishes suitable for shepherds, and that we sometimes imitate this that we have read in l'Astrée, without however making love, because I do not like it in any dress whatsoever. When one were clothed with that of a shepherd, I would not disapprove of pulling cows, or making cheeses and cakes, since we must eat, and that I do not claim that the plan of our life is fabulous, as it is in these novels in which one observes a perpetual fast and such severe abstinence. I would like, on the contrary, that one could have nothing mortal but to eat it. But we must end with what must be the end of all things.
After having dreamed a lot about the happiness of life, after having read exactly the stories of all times, having examined the manners and the difference of all countries, the life of the greatest heros, the most perfect heroines and the wisest philosophers of all the past centuries, I do not find anyone who, in all this, has been perfectly happy, and I have noticed that those who have not known Christianity seek it without thinking about it, if they have been very reasonable, and without knowing what they lacked, realise that they were missing something. I also noticed that those who, having known it, despised it and did not follow its precepts, were unhappy, either in their persons or in their states; that it is finally difficult to do anything good without thinking of the end. Ours should be our salvation, so all people should think about it. I would like that in our desert there would be a Carmelite convent, and that they would not exceed the number that Saint Theresa marks in her rule. Her intention was that they should be hermits, and the hermits' residence is in the woods. Their building would be made on that of Avila, which was the first. The hermit's life would prevent us from having too frequent a trade with them. But the more they were withdrawn from the commerce of the world, the more we would have reverence for them. It would be in their church that we would go to pray to God. As there would be skilful doctors withdrawn in our desert, one would not lack excellent sermons; those who would love them would go more often, others less, without being constrained in their devotion. I would approve also that there was a beautiful church served by secular priests, skilful and zealous, and who would go to educate the neighboring villages. However, I would not want them to preach without a mission, for I like order in all things. I would like us to have a hospital where they would feed poor children, where they would teach trades, and where they would receive the sick. We would be entertained by seeing some at work, and we would occupy ourselves in serving others. Finally, I would like nothing to be lacking in order to lead a perfectly moral and Christian life, from which innocent pleasures are not banished. On the contrary, we can say that this is where we really taste them.
Guess if you can, and answer if you dare.