Wednesday, December 30, 2020

Charlotte Aïssé's letter to Madame Calandrini, dated November 1726

Source:

Lettres de Mademoiselle Aïssé à Madame Calandrini, compiled and edited by Charles Augustin Sainte-Beuve, published by Gerdès, Paris, 1846



Above: Charlotte Aïssé, painted likely by Nicolas de Largillière.

TRIGGER WARNING: MENTION OF PHYSICAL ABUSE.

The letter:

De Paris, novembre 1726.
J'ai reçu la lettre que vous avez eu la bonté de m'écrire de votre campagne: je ne doute point que vous n'ayez eu un plaisir bien vif de vous être vu recevoir avec tant d'amitié. Les démonstrations de joie que l'on a eues de votre retour ne peuvent être feintes: ainsi, madame, vous avez joui d'un bonheur que les rois mêmes ne goûtent pas. Vous me direz qu'il n'étoit point nécessaire que vous fussiez malheureuse pour être aimée; que vous le seriez tout autant, et même davantage, si vous étiez dans une fortune riante. L'expérience, il est vrai, fait voir que l'adversité et la mauvaise fortune déplaisent aux hommes, et que, le plus souvent, les bonnes qualités, le mérite, sont les zéros, et le bien le chiffre qui les fait valoir; mais cependant on se rend toujours à la vertu. Je conviens qu'il faut en avoir beaucoup pour qu'elle supplée au manque de richesses: ainsi, madame, rien n'est plus flatteur que l'accueil obligeant que vous avez reçu. Vous êtes amplement dédommagée des injustices du Sort. Je suis charmée que vous vous portiez mieux; rien ne contribue à la santé comme d'avoir sujet d'être content de soi.

Je fais tous mes efforts pour déterminer M. et madame de Ferriol d'aller à Pont-de-Veyle; ils disent que c'est bien leur dessein, mais je ne le croirai que lorsque nous partirons. Il n'y a pas de jour que je ne leur fasse sentir le besoin de leur présence dans leurs terres, et celui de quitter quelque temps Paris.

M. de Bonnac va à Soleure. Je lui ai parlé de madame votre sœur; madame de Bonnac espère de la voir souvent pendant son séjour dans ce pays-là. Comme il n'y a pas loin de Genève, nous irons, vous et moi, les voir; me dedirez-vous? M. et madame de Ferriol et Pont-de-Veyle vous font mille tendres complimens et respects. Pour d'Argental, il est dans l'île enchantée; on ne sait plus quand il en sortira. J'occupe sa chambre, parce que je fais raccommoder la mienne qui sera charmante; je suis bien fâchée que vous ne la voyiez pas: mes réparations me reviendront à cent pistoles. J'ai vu M. Saladin le cadet; je me suis senti une tendresse pour lui dont je ne me serois pas doutée il y a six mois; et je crois que je l'aurois eue pour M. Buisson, s'il avoit vécu. Les gens que j'ai connus chez vous me sont chers. Il y a long-temps que je n'ai vu madame votre fille; elle a été à la campagne, et moi de mon côté. Nous sommes allés passer les fêtes à Ablon, mademoiselle de Villefranche, madame de Servigny, M. et madame de Ferriol, MM. de Fontenay, La Mesangère, le chevalier et Clémencey: nous avons fait grand feu et bonne chère. Vous en êtes étonnée; mais c'est pour long-temps. La maîtresse de la maison craignoit La Mesangère. Elle n'a jamais osé appeler Clément, son chien noir, ni Champagne; elle a été de très-bonne humeur, malgré sa contrainte, et la partie s'est très-bien passée. La Mesangère fut charmant. M. de Fontenay m'a chargée de vous assurer de ses respects.

Il faut un peu vous parler des spectacles. Les deux petits violons Francœur et Rebel ont fait un opéra; le sujet est *Pyrame et Thisbé*. Il est fort joli, quant à la musique, car, pour le poëme, il est mauvais: il y a une décoration nouvelle. Le premier acte représente une place publique, avec des arcades et des colonnes; ce qui est admirable. La perspective est parfaitement bien suivie, et les proportions bien gardées. Le pauvre Thévenard tombe si fort, que je ne doute pas qu'il ne soit sifflé dans six mois. Pour Chassé, c'est son triomphe; il est acteur dans cet opéra; son rôle est très-beau; il fait deux octaves pleins. La Antier en est folle. Mademoiselle Lemaure est rentrée; et Muraire, qui a été très-mal, se porte bien. Le bruit avoit couru qu'il se faisoit moine, mais le métier est trop bon, et il ne quitte point l'Opéra. Il y a une nouvelle actrice, nommée Pellissier, qui partage l'approbation du public avec la Lemaure: pour moi, je suis pour la Lemaure; sa voix, son jeu, me plaisent plus que celui de mademoiselle Pellissier. Cette dernière a la voix très-petite, et elle l'a toujours forcée sur le théâtre; elle est très-bonne pantomime; tous ses gestes sont justes et nobles; mais elle en a tant que mademoiselle Antier paroît tout d'une pièce auprès d'elle. Il me semble que, dans le rôle d'amoureuse, quelque violente que soit la situation, la modestie et la retenue sont choses nécessaires; toute passion doit être dans les inflexions de la voix et dans les accens. Il faut laisser aux hommes et aux magiciens les gestes violens et hors de mesure; une jeune princesse doit être plus modeste. Voilà mes réflexions. En êtes-vous contente? Le public rend justice à mademoiselle Lemaure; et quand on l'a revue sur le théâtre, elle parut premièrement à l'amphithéâtre, tout le parterre se retourna et battit des mains pendant un quart d'heure. Elle reçut ces applaudissemens avec une grande joie, et fit des révèrences pour remercier le parterre. Madame la duchesse de Duras, qui protège la Pellissier, étoit furieuse, et me fit signe que c'étoit moi et madame de Parabère qui avions payé des gens pour battre des mains. Le lendemain, la même chose arriva, et mademoiselle Pellissier en pensa crever de dépit.

La Comédie est de retour de Fontainebleau où il y a jubilé: nous ne l'avons pas ici, à cause de M. le cardinal de Noailles. On est affamé de tragédies, parce que, depuis Fontainebleau, on ne joue que des farces. Pour la Comédie Italienne, on y joue la critique de l'opéra, qui, à ce qu'on dit, est fort jolie. La pauvre Silvia a pensé mourir: on prétend qu'elle a un petit amant qu'elle aime beaucoup; que son mari, de jalousie, l'a battue outré-enfans, à trois mois; elle a été très-mal; elle est mieux à présent. Mademoiselle Flaminia avoit eu la méchanceté d'instruire le mari des galanteries de sa femme. Vous jugez bien, à l'amour que le parterre avoit pour Flaminia, combien il l'a maltraitée. Les bals vont commencer; mais ils seront sûrement aussi déserts que l'année passée.

Permettez que je fasse ici quelques petites coquetteries à monsieur votre mari. Je suis extrêmement touchée du petit mot qu'il a mis dans votre lettre; et, dussiez-vous le battre de jalousie, je lui dirai que je l'aime beaucoup.

English translation (my own):

Paris, November 1726.
I have received the letter you were kind enough to write to me about your campaign; I do not doubt that you had a very lively pleasure to be seen received with so much friendship. The demonstrations of joy that we have had at your return cannot be feigned; thus, madame, you have enjoyed a happiness which even kings do not taste. You will tell me that it was not necessary for you to be unhappy to be loved; than you would be just as much, and even more, if you were in a happy fortune. Experience, it is true, shows that adversity and bad fortune displease men, and that, more often than not, good qualities, merit, are zeros, and good the number which makes them stand out; but yet we always surrender to virtue. I agree that it takes a lot to make up for the lack of wealth; thus, madam, nothing is more flattering than the obliging reception which you have received. You are amply compensated for the injustices of Fate. I am delighted that you are doing better; nothing contributes to health like having something to be happy with.

I am making all my efforts to persuade M. and Madame de Ferriol to go to Pont-de-Veyle; they say that's their design, but I won't believe it until we leave. There is not a day that I did not make them feel the need of their presence in their lands, and that of leaving Paris for a while.

Monsieur de Bonnac is going to Solothurn. I told him about your sister; Madame de Bonnac hopes to see her often during her stay in that country. As it is not far from Geneva, we will go, you and I, to see them; will you deduct me? Monsieur and Madame de Ferriol and Pont-de-Veyle pay you a thousand tender compliments and respects. As for d'Argental, he is in the enchanted island; we do not know when he will come out. I occupy his room, as I am having mine repaired, which will be charming; I am very sorry that you cannot see it, my repairs will cost me a hundred pistoles. I saw Monsieur Saladin the younger; I felt a tenderness for him that I would not have suspected six months ago; and I believe I would have had it for Monsieur Buisson, if he had lived. The people I have known in your home are dear to me. It has been a long time since I saw your daughter; she has been in the country, and I on my side. We went to spend the holidays at Ablon, Mademoiselle de Villefranche, Madame de Servigny, Monsieur and Madame de Ferriol, Madame de Fontenay, La Mesangère, the Chevalier and Clémencey; we had a great fire and good food. You are astonished at it; but it is for a long time. The mistress of the house feared La Mesangère. She never dared to call Clément, her black dog, or Champagne; she was in a very good mood, despite her constraint, and the game went very well. La Mesangère was charming. Monsieur de Fontenay asked me to assure you of his respects.

You need to be informed a little about the shows. The two little violins Francœur and Rebel performed an opera; the subject is Pyrame and Thisbé. It is very pretty, as to the music, because for the poem it is bad; there is a new decoration. The first act represents a public square, with arcades and columns, which is admirable. The perspective is perfectly well followed, and the proportions well kept. Poor Thevenard falls so hard that I have no doubt he will be whistled in six months. For Chassé, it was his triumph; he is an actor in this opera; his part is very beautiful; makes two full octaves. La Antier is crazy about it. Mademoiselle Lemaure has returned; and Muraire, who was very ill, is doing well. There had been a rumour that he was making himself a monk, but the job was too good, and he did not leave the Opera. There is a new actress, named Pellissier, who shares public approval with the Lemaure; as for me, I am for the Lemaure; her voice, her playing, please me more than that of Mademoiselle Pellissier. The latter has a very small voice, and she has always forced it on the stage; she is a very good pantomime, all his gestures are just and noble, but she does them so much that Mademoiselle Antier seems all in one piece to her. It seems to me that, in the role of lover, however violent the situation, modesty and restraint are necessary; all passion must be in the inflections of the voice and in the accents. Violent and out of measure gestures must be left to men and magicians; a young princess must be more modest. These are my thoughts. Are you happy with it? The public does justice to Mademoiselle Lemaure; and when we saw her again at the theater, she first appeared in the amphitheater, the whole audience turned around and clapped their hands for a quarter of an hour. She received this applause with great joy, and curtsied to thank the parterre. Madame la Duchesse de Duras, who protects Pellissier, was furious, and made a sign to me that it was I and Madame de Parabère who had paid people to clap their hands. The next day the same thing happened, and Mademoiselle Pellissier thought she was dying of vexation.

The Comédie is back from Fontainebleau where it is jubilee: we don't have it here, because of Cardinal de Noailles. We are hungry for tragedies because, since Fontainebleau, we've only had comedies. For the Italian Comédie, it plays the opera criticism, which, they say, is very pretty. Poor Silvia thought she was dying, they say she has a little lover whom she loves very much, that her husband, out of jealousy, beat her outraged children, at three months; she was very bad; she is better now. Mademoiselle Flaminia had had the nastiness to instruct the husband of his wife's gallantry. You can imagine how much he mistreated her by the love the parterre had for Flaminia. The balls will begin; but they will surely be as deserted as last year.

Allow me to make a few little coquetries here for your husband. I am extremely touched by the little note he put in your letter; and, should you beat him with jealousy, I will tell him that I love him very much.

No comments:

Post a Comment